[Cet article a été rédigé par ma collègue, Amélie Vergne, dans le cadre du collectif La Linguistiquerie dont nous sommes toutes deux membres. Si vous souhaitez lire plus d’article rédigés de sa plume, je vous invite à consulter son profil LinkedIn ici.]
À l’heure où les communications et habitudes évoluent, une nouvelle manière de rédiger commence à émerger : l’écriture inclusive. Il s’agit d’un sujet houleux, souvent à l’origine de débats passionnés, car il touche à quelque chose de très personnel : notre langue. Celle avec laquelle nous avons grandi, celle que nous avons apprise dès notre plus jeune âge, celle qui forge les personnes que nous sommes aujourd’hui. Revenons un peu sur ce sujet tellement d’actualité.
L’écriture inclusive, qu’est-ce que c’est ?
Il s’agit d’un ensemble de stratégies de rédaction permettant de sortir d’un accord « par défaut » au masculin générique. On la résume souvent au point médian, mais elle englobe bien d’autres stratégies (nous y reviendrons plus tard). Il n’existe en réalité pas une seule écriture inclusive, mais bien une multitude de procédés qui permettent, en les associant, de rédiger de manière inclusive. Vous rencontrerez peut-être aussi les termes de rédaction épicène, ou de langage neutre, ou encore de langage non sexiste : ces termes désignent tous une même réalité.
Pourquoi écrire différemment ?
L’objectif premier de l’écriture inclusive est, comme son nom l’indique, d’inclure tout le monde dans les communications. Plutôt que de supposer qu’un groupe est à majorité composé d’hommes (ou même de supposer qu’il en contient tout court), l’écriture inclusive vise à rééquilibrer cette vision générique, par défaut, en passant par des tournures plus neutres. Ainsi, au lieu de dire que « les adhérents se sont rassemblés », on pourra par exemple dire qu’il y a eu « une réunion des membres » (cette réunion ne comprenait peut-être que des femmes !).
L’écriture inclusive prend tout son sens dans le contexte de la traduction : imaginons qu’il faille traduire, de l’anglais vers le français « the CEO of the company ». L’anglais s’encombre moins de tous ces questionnements, car la langue permet facilement de ne pas genrer les personnes dont nous parlons. Mais en français, que faire ? Sans contexte supplémentaire, pourra-t-on parler « du PDG de l’entreprise » ? Et si une femme est à la tête de cette organisation ? Ici, il semble plus prudent d’opter pour une tournure comme « la direction de l’entreprise », afin de ne pas prendre de risque.
Pour prendre un autre exemple, imaginons qu’il faille localiser de l’anglais vers le français un jeu vidéo, au début duquel il est demandé aux joueurs et joueuses de choisir leur avatar, à savoir un personnage féminin ou masculin. Ici encore, l’anglais ne se pose pas la gestion du genre, et ces distinctions sont bien souvent absentes de la source. Il vous sera alors indispensable de savoir maîtriser quelques tournures inclusives afin de ne pas générer de fautes d’accord à chaque espace réservé, ligne de dialogue ou autre segment genré que vous rencontrerez. Ainsi, « And the winner is… » pourra par exemple être traduit par « C’est une victoire pour… ». Sans appliquer ces stratégies de rédaction, vous vous exposez ici à une traduction non plus maladroite, mais bel et bien fausse grammaticalement.
Comment écrire de manière inclusive ?
Comme mentionné précédemment, il existe de très nombreuses stratégies permettant de rédiger de manière épicène.
Les marques de ponctuation sont généralement les premières qui viennent à l’esprit : point médian, point milieu, point simple, parenthèses, tiret ou encore barre oblique sont des marqueurs visuels permettant l’écriture inclusive. Ils permettent de visibiliser à la fois les marques du masculin et du féminin, en les séparant d’un signe de ponctuation. Cela donnera par exemple « les enseignant⸱es », « les traducteurs.trices » ou encore « les étudiant(es) ». Première précision sur les marqueurs typographiques : vous remarquerez qu’il n’est pas utile d’utiliser deux marqueurs par mot, le féminin pouvant tout à fait porter la marque du pluriel. Cette stratégie, très visible, doit à mon sens être réservée à des contextes bien particuliers, car elle peut même de ce fait sembler vindicative. De plus, gardez à l’esprit que ces marqueurs peuvent compliquer la tâche pour les personnes dyslexiques. Il convient donc de bien réfléchir à l’objectif visé avant d’opter pour ce type de communication. Si vous souhaitez qu’il s’agisse d’une véritable image de marque pour votre entreprise : foncez, c’est la stratégie que vous recherchez ! En revanche, il existe également de nombreuses autres manières de pratiquer l’écriture inclusive, bien plus discrètes.
Vous l’aurez peut-être remarqué dans les exemples précédents, mais il est souvent possible de jongler avec une phrase ou tournure pour la rendre épicène. On peut ainsi procéder à une globalisation (parler de l’organisme plutôt que des personnes qui le composent), même si cette stratégie peut selon les cas sembler quelque peu déshumanisante. On peut également opter pour des termes plus génériques, ou épicènes, comme « la clientèle », « la patientèle » ou encore « le personnel ». Notez que si aucun de ces termes ne vous vient, on peut aussi passer par un doublon (« les traducteurs et traductrices ») : auquel cas, il peut être pertinent de privilégier un ordre alphabétique pour agencer l’ordre des termes, pour harmoniser de manière logique votre écriture. Retourner la phrase, pour la passer de la voix active à la voix passive, ou inversement, permet aussi de contourner certaines difficultés.
Il ne s’agit là que d’un échantillon des stratégies que vous pouvez appliquer, mais vous l’aurez à présent compris : l’écriture inclusive ne saurait être résumée au point médian. Nous avons la chance d’avoir une langue riche et complexe, qui nous fournit différents outils pour rédiger de manière épicène. Et nous pouvons même aller au-delà de l’éternelle distinction entre masculin et féminin, afin de trouver des tournures, stratégies et astuces de rédaction complètement neutres, permettant d’inclure toujours plus de personnes dans nos communications (je pense par exemple ici aux personnes non-binaires, ou agenres).
Aller plus loin
Si vous exercez dans ce milieu, notez qu’il existe au sein de la SFT, syndicat professionnel français des métiers de la traduction et de l’interprétation, une commission dédiée à l’écriture inclusive. Solène et moi-même, toutes deux membres de la Linguistiquerie, en faisons partie, et serions ravies d’échanger avec vous à ce sujet. Notez aussi que la SFT propose régulièrement la formation Rédaction épicène ou comment écrire sans exclure d’Isabelle Meurville, également membre de la commission, que je ne peux que vous recommander chaleureusement pour l’avoir suivie.
Si le sujet vous intéresse, mais que vous ne savez pas comment vous lancer, voici quelques guides qui pourront vous apporter certaines pistes :
- HCE, Pour une communication publique sans stéréotype de sexe
- Mots-Clés, Manuel d’écriture inclusive
- Nations Unies, Orientations pour un langage inclusif en français(également disponible en anglais, en arabe, en chinois [simplifié], en espagnol et en russe)
Voici également quelques articles, consultables en ligne, permettant d’apporter d’autres éclairages sur le sujet :
- Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française, Épicène, neutre, non binaire et inclusif
- The Conversation, Écriture inclusive : un premier bilan de la controverse
- Sarah O’Brien, Here’s How Your Word Choices Could Affect Hiring Gender-Diverse Talent
- Global Voices, Les langues romanes sur la voie d’une plus grande neutralité en termes de genre ? (article disponible en anglais, français, espagnol, espéranto, italien et roumain)
Je vous invite aussi à suivre sur Twitter les comptes suivants :
- The Green Word Witch (@NGD_trad) : compte français qui y parle de localisation et d’écriture inclusive
- Ártemis López (@queerterpreter) : compte espagnol qui y parle de traduction non-binaire
- Kenobit (@fabioborlotti) : compte italien qui y parle d’écriture inclusive appliquée au domaine du jeu vidéo, et notamment son chouette article Translating the (Cyberpunk) Future
Foncez aussi écouter les podcasts Parler comme jamais de Laélia Véron, linguiste et enseignante chercheuse à l’université d’Orléans, mais aussi en prison (il me tarde de dévorer son livre Le Français est à nous !). On en ressort toujours avec un bagage et un éclairage supplémentaire, c’est un vrai plaisir.
Je tiens enfin à remercier grandement Chloé Matz qui m’a généreusement transmis une grande partie des sources que comporte cet article. Je vous incite vivement à consulter son mémoire, qui porte sur l’écriture inclusive appliquée au domaine de la traduction audiovisuelle (le lien n’est pas encore disponible pour l’heure, mais je l’ajouterai ici dès que possible !).
Et vous, pratiquez-vous l’écriture inclusive ? Pourquoi ? Si oui, avez-vous d’autres stratégies de rédaction épicène à partager que celles présentées ici ? Des références à conseiller ?
À la Linguistiquerie, on adore échanger autour de ces sujets, donc on sera ravies de vous lire et de communiquer avec vous à ce propos ! Vous avez un texte à faire traduire et vous souhaiteriez qu’il bénéficie d’une traduction inclusive ? N’hésitez pas à nous contacter, nous nous ferons un plaisir d’étudier avec vous votre projet !
(Notez que cet article a été rédigé intégralement en écriture inclusive.)